NOUAGE \10 - Les semblants... ou pire

Editorial Marie Christine Bruyère

« Il ne faut pas badiner avec les semblants. [1] » Pas plus qu’avec l’amour ! Il n’est pas recommandé de badiner avec le semblant, cet antonyme du réel dont la fonction est de voiler le rien. Le réel nous est épargné par les semblants et, lorsque le semblant vacille, le réel menace.

Nous sortons d’une période, oh combien singulière ! D’ailleurs est-elle terminée ? Un nouveau coronavirus, nommé SARS-COV-2, probablement issu d’un réservoir animal, déclenche une maladie nommée Covid 19, déclarée pandémie par l’OMS le 11 mars 2020. Cette situation inédite de mondialisation, a tenu notre planète et ses habitants, nous tous, à l’enfermement et à la stupéfaction. Confinement de la population, gestes barrières, masques, tests PCR ou antigéniques, couvre-feu, vaccinations, autant de signifiants mis à l’ordre de nos préoccupations quotidiennes. Cette pandémie a provoqué un arrêt de nos activités en présentiel : signifiant, lui, créé par les circonstances. Heureusement, notre désir de travail, porté par le président de l’École, relayé par les délégués régionaux et appuyé sur les outils informatiques, a permis, passée la sidération, d’organiser la poursuite des échanges voire de les renouveler. Le zoom est entré dans nos vies ! Un essaim de rencontres…

La conférence de Virginie Leblanc [2], en conclusion des Rencontres de Toulouse [3] qui se sont tenues en visioconférence, est venue à point nommé saisir le vif de ce moment. Sous le titre : Quand les semblants vacillent, ni obéir, ni désobéir : intervenir, elle examine la crise climatique et épidémique, à l’aune de la vacillation des semblants. Depuis cet angle de vue, elle retrouve dans le collectif, le point supporté dans le trajet d’une analyse : l’absence de garantie dans l’Autre. C’est audacieux, actuel et prophétique. Ça nous oriente !

La proposition de V. Leblanc et les travaux qui l’entourent dans ce Nouage, témoignent de cette époque, la nôtre, dans laquelle la dépréciation du Nom-du-père met à nu un réel sans loi. Ces textes résonnent avec l’actualité brûlante dont l’été qui s’achève, donne la mesure. Et à l’heure où nous rédigeons cet éditorial, le pire a resurgit, là-bas du côté de l’Est, sous la forme d’une guerre qui ne dit pas son nom, mais produit ses désastres. Retour d’un réel là où le symbolique et l’imaginaire n’ont pu faire barrage.

Le bateau du Père prend l’eau de toutes parts ! L’horreur de la Chose, désignée par Lacan sous les auspices de das Ding, indiquait déjà la direction du réel, au-delà du nouage du désir et de la loi, le texte de Laure Vessayre s’en fait l’écho. Le discours de la science allié à celui du capitalisme, participe à la dévaluation du Père comme semblant, à la sortie de la grand-route, le texte de Clémentine Cottin en donne ici le trajet. La trilogie des Coûfontaine et son héroïne Sygne, nous enseignent sur la dé-composition du Père, et au-delà sur le passage spectral à la structure, le texte de Florence Nègre nous l’apprend. Antigone, l’obéissante, nous dit André Soueix, prend Lacan par la main pour guider le désir de l’analyste dans sa fonction vers le réel.

Les artistes toujours nous précèdent ! Le film Joker, lu par Cécile Favreau, incarne, via son héros, le rictus du réel quand un sujet rencontre le pire ; tandis que sur les planches, Clémence Coconnier témoigne de l’effort des metteurs en scène et des comédiens, pour répercuter la mise à nu des semblants au théâtre.

Le non-dupe flemmasse [4] ! « Le non-dupe tout à sa non-duperie, il n’est pas, il n’est pas à sa place ! Il n’est pas à sa place de réel […] Il ne revient pas à la même place ! Il erre. [5] »

Dans ce moment de dévoilement des semblants, comment ne pas errer, ne pas sombrer du côté de la mélancolie ou ne pas filer vers ces solutions « canailles » qui ont fleuri lors de la pandémie ? En prise avec la subjectivité de notre époque, le tout dernier enseignement de Lacan, nous permet de « se faire dupe d’un réel […] de monter un discours où les semblants coincent un réel, un réel auquel croire sans y adhérer [6] ». Pour cela, l’ironie du schizophrène pour qui tout le symbolique est réel, constitue un éclairage, et… une mise en garde sur le pire.

Une nouvelle équipe, de rédaction et d’édition, s’est mise en place pour fabriquer Nouage avec le désir de donner à ce bulletin une allure à la fois sérieuse et enjouée. Avec de l’expérience pour certain·e·s et une première pour d’autres. Je remercie vivement et chaleureusement tant les expert·e·s que les ouvrier·e·s, pour ce numéro dont la texture doit beaucoup à leur talent. 


Marie Christine Bruyère est membre de l’ACF en MP.

[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université de Paris 8, cours du 20 novembre 1991, inédit.

[2] Nous remercions très vivement Virginie Leblanc pour l’autorisation qu’elle nous a accordée d’une publication.

[3] Rencontres de Toulouse : « Sens et désobéissance », séminaire animé par un cartel composé de Cécile Favreau, Florence Nègre, Eduardo Scarone, Laure Vessayre, plus-un Jean-Pierre Klotz.

[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », op. cit.

[5] Ibid.

[6] Miller J.-A, « L’inconscient et le corps parlant – Présentation du thème du Xe congrès de l’AMP à Rio en 2016 », Scilicet, Paris, École de la Cause freudienne EURL Huysmans, 2015, p. 33. Textes d’orientation, 2016, disponible sur internet.

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