En Thérapie, la série d’ARTE réalisée par Éric Toledano et Olivier Nakache a atteint une audience record sur le site avec plus de trente cinq millions de vues. Un immense succès donc. L’action se déroule après les attentats de 2015. La France est sous le choc. Ce traumatisme national est en toile de fond ainsi que la conception freudienne du traumatisme qui oriente chaque épisode[1].
Un mot des personnages. Il y a d’abord Dayan, un homme entier, bienveillant, attentif mais aussi capable à l’occasion, d’une juste autorité. Il est l’un des deux psychanalystes d’En Thérapie, l’autre étant son contrôleur, Esther, incarnée à l’écran par Carole Bouquet. Nous découvrons Dayan dans sa pratique, où il reçoit et consacre passionnément à ses patients le plus clair de son temps, au point de négliger sa propre famille. Parmi les patients, il y a Arielle, la belle chirurgienne ; Camille l’athlète, la nageuse promue aux Jeux Olympiques ; Adel, le policier égaré ; Léonora et son mari Damien, le couple qui se déchire.
En thérapie est une fiction, c’est mieux de le rappeler ; on ne peut en aucun cas prendre au pied de la lettre ce qui s’y déroule comme un paradigme de la séance analytique. Pour fonctionner, chaque épisode doit maintenir une intensité dramatique nécessaire à l’envie de voir le suivant. Mais difficile alors, de ne pas dévoyer les principes fondateurs de la psychanalyse.
Cette série soulève de nombreuses questions, sur la fonction de la parole, la conception du savoir inconscient qui y est sous-jacent et sur l’usage du sens dans le cadre de l’interprétation en psychanalyse.
Le dispositif
À intervalle régulier, Dayan reçoit ses patients pour une durée fixe de quarante cinq minutes. Au tout début de la série une patiente est allongée sur le divan, mais très vite, tous les entretiens se déroulent en face à face. La position allongée, qui met le corps dans une position statique permettant de réduire l’opacité imaginaire, ne serait certainement pas propice au nerf de la série. Difficile, allongé, de garder le mouvement qui se déploie dans la pièce tout au long des séances d’En thérapie.
De longues conversations intenses, souvent mouvementées, se tiennent donc en face à face. Aucune dissymétrie entre l’analyste et l’analysant : ils se parlent, se répondent, s’affrontent dans des joutes oratoires souvent agressives (de la part des patients). Les dialogues sont construits de telle sorte qu’une action continue se dégage des séances. En fait, tout repose sur les échanges, sur la parole. C’est le grand mérite de cette série que d’avoir mis la parole et ses différentes modalités au centre de son dispositif : le pouvoir de la parole, le besoin de dire, de s’adresser à quelqu’un pour aller mieux.
Le talent des acteurs permet une fluidité dans les échanges, on ne voit que très rarement les coutures, j’entends par là, des reprises de la parole plutôt improbables. Par exemple, une reprise de l’association libre après une interprétation massive ou bien une joute verbale. Prenons la séquence avec Arielle qui évoque le souvenir du pain perdu préparé par sa mère après avoir évoqué dans le détail la relation sexuelle désinhibée avec son amant.
La conception de l’inconscient
Dayan mène l’enquête dans « une glissade de toboggan du Panthéon à la Préfecture de Police »[2]. La formule est de Lacan qui qualifie ainsi une pratique par trop péremptoire.
Il y a cependant dans cette série une conception de l’inconscient qui est sous-jacente, elle suppose qu’il existe un savoir déjà constitué en attente d’être dévoilé, d’être amené à la conscience. C’est la traduction littérale de l’expression freudienne : Wo es war soll ich werden, là où ça était je dois advenir. Mais c’est un inconscient qui ne prend pas en compte l’apport de Lacan, c’est-à-dire l’inconscient structuré comme un langage.
Quelques lapsus émaillent parfois les propos des patients et s’ils ne sont pas relevés par eux-mêmes, Dayan les met en exergue et les analyse. Il s’empare en quelque sorte des formations de l’inconscient.
Ce qui est le plus plausible dans cette série, c’est l’agressivité des patients. Comment en effet ne pas agresser quelqu’un qui ne cesse de vous dire que vous êtes autre à vous-même ? L’analyse produit bien évidemment des effets de division du sujet, mais jamais ils ne sont imposés et jamais sans la mise en place préalable du transfert. Ici, après avoir digéré les interprétations massives de Dayan, une sorte d’addiction fascinée se met en place. Les patients sont dociles : ils s’offusquent, puis continuent à raconter. Cette docilité est incongrue. On se souvient de Dora qui quitte le dispositif analytique après en avoir eu assez d’entendre les interprétations brutales de Freud.
Dayan force le passage, il ne se règle pas sur le temps nécessaire à chaque sujet pour border, à travers un dire, le réel qui itère. Il sature l’espace de ses interprétations. Les patients se défendent en définitive contre un maître. Ils se défendent d’avoir à reconnaître un savoir qui leur vient de l’autre et qui n’est pas la mise en forme dans un dire, de l’inconscient : « ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré »[3].
Pour définir le statut de la parole en psychanalyse, il faut au préalable définir le statut du savoir en jeu. Le savoir en psychanalyse est un savoir insu ou inconscient. Il n’est pas déjà constitué, en attente d’être découvert ; le patient le suppose d’abord du côté de l’analyste c’est ce qui permet un dire, une adresse de parole vers un lieu Autre, supposé être le lieu de la vérité.
En parlant, il s’agit de rejoindre ce savoir supposé. La manœuvre de l’analyste consiste, tout en maintenant ce lieu d’adresse, de permettre au sujet d’entendre ce qu’il dit. Il ne répond pas par du sens à la brèche qui s’est ouverte. Le bénéfice est double : le savoir se déplace du côté du sujet en même temps que s’articule dans la parole, le savoir insu. Il fait retour dans le signifiant emportant avec lui, la jouissance qui lui est attenante.
Quand Adel dit à Dayan : « Vous avez raison, je suis déjà allé en Algérie », on perçoit qu’en effet le savoir est du côté de l’analyste et que l’analysant est l’objet du savoir de l’autre. C’est précisément l’inverse qu’il faut obtenir !
La scansion et la coupure actée par l’analyste vont entamer la jouissance ; l’opération dépasse largement la question du sens. Bien sûr qu’il y a une dimension du sens inhérente à l’analyse, mais en tant que l’on peut y cerner l’objet de jouissance dont on est le jouet. Il y a également des moments où se produit un retour du refoulé, mais l’important est qu’il s’articule dans la chaîne signifiante, hors de l’opacité imaginaire ou du réel insensé.
Le jeu des différences
Dayan ne vise pas à entamer le rapport à la jouissance, il vise le bien de ses patients, il vise le sens. Le savoir est de son côté, il est le maître du savoir insu. Lorsqu’il va consulter son contrôleur, il campe sur ses positions, il devient lui-même agressif d’être mis, par son contrôleur, en place de subir des interprétations brutales. Nous avons donc à faire à des experts.
Ce qui renforce cela, c’est la théorie sous-jacente du trauma. Tous les cas présentés dans la série se déplient de la même manière :
1 – Des symptômes qui entravent la vie des patients ; Arielle doute de son mariage à venir et multiplie les amants dans des situations improbables qui la ravage, elle ne s’aime pas, dit-elle ; Adel a vécu l’horreur du Bataclan et n’en dort plus, alors que la raison voudrait qu’il assume sa mission ; Camille a eu un accident de scooter incompréhensible, elle vient chercher l’expertise du psy pour des questions d’assurances ; Léonora et son mari ne s’entendent plus et se disputent violement, problème de couple.
2 – La rencontre avec l’analyste permet de dévoiler le trauma refoulé agissant. Les patients sont d’abord réticents puis acceptent l’évidence. Le mot d’ordre est « donner du sens à vos symptômes en faisant émerger le trauma refoulé ».
3 – Enfin le 3e temps : les conséquences dans la vie de chaque patient.
Le succès de cette série ne réside-t-il pas dans le fantasme de transparence du sujet ? Le fantasme fascinant et insupportable, que l’Autre du savoir et de la vérité, pourrait s’articuler en une figure de l’analyste. C’est pourtant l’inverse qui se déroule en analyse, on ne dit pas tout, on ne dit que ce que l’on veut d’ailleurs. On est, en quelque sorte, le ressort de sa propre cure. L’analyste n’est qu’un provider[4] dit Jacques-Alain Miller, c’est-à-dire un point d’accès où se brancher au savoir inconscient.
Patricia Loubet, membre de l’ACF-MP et de l’ECF.
[1] Intervention à la soirée « Les impasses du sens » du cycle « Sens et désobéissance » organisé par le Bureau de Toulouse, soutenu par un cartel [les membres : Cécile Favreau, Florence Nègre, Eduardo Scarone, Laure Vessayre, et Jean-Pierre Klotz (plus-un)], le 30 septembre 2021 à Toulouse.
[2] Lacan J., « Le science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 859.
[3] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, op. cit., p. 259.
[4] Miller J.-A., « L’inconscient à venir », La Cause du désir, n° 97, novembre2017, p. 106.