Matthias et Maxime \Sandy Claise

Matthias et Maxime de Xavier Dolan, Ciné-débat à Albi \Pascale Rivals

Xavier Dolan a un goût pour le vivant de la langue et son impact, pour la parole adressée qui nous dépasse, loin du matérialisme de la communication. Et nous, nous avons un goût pour Dolan et pour l’échange.

Sandy Claise et Cécile Guiral ont introduit le Ciné-débat du 7 octobre 2021 à la Scène Nationale d’Albi. Elles ont noué ce qui les a percutées dans le film Matthias et Maxime[1], les questions des prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne et le vivant du Cartel.

[1] Dolan X., Matthias et Maxime, film, Canada, 2019.

Pour choisir ce film et vous proposer cette soirée[1], l’ACF à Albi s’est appuyé sur un cartel[2], afin de travailler sur le thème des 51e Journées de l’ECF. Le cartel est une invention de Lacan qui permet, à qui le souhaite, de mettre au travail une question, d’étudier un texte ou une œuvre, à la lumière de la psychanalyse. C’est une élaboration en petit comité, trois ou quatre personnes maximum, plus une, dit plus-un, qui a la fonction particulière de soutenir le désir et la production de chacun.

Dans ce film, Xavier Dolan met en question la norme, la virilité, l’identité, le choix d’objet sexuel. Ces thèmes font écho à celui des prochaines Journées de l’ECF[3] intitulées La norme mâle.

La norme mâle, c’est un jeu de mots que fait Lacan en 1972 pour désigner la norme patriarcale, phallique, celle qui réglait les rapports humains selon la loi fondée sur la figure mythique du Père. Il s’agit là du Père idéalisé, celui de la religion chrétienne, celui qui faisait exception et autorité, venant ainsi souder une communauté. Cette figure imaginaire incarnait la loi œdipienne telle que Freud l’a rendue célèbre. Il constituait un appui, une boussole permettant à chacun d’orienter son désir en se référant d’un côté, à une limite (ce qui est interdit) et de l’autre, à un idéal à atteindre. C’est cette fonction structurante que Lacan a appelé le Nom-du-Père.

Avec le discours capitaliste qui pousse à consommer plus qu’à désirer, la figure paternelle n’a pas cessé de perdre de sa prestance. Aujourd’hui, elle est même rejetée de toutes parts et avec elle, les signes de la virilité qui lui sont liées. Lacan avait en quelque sorte prédit cela, puisque dès 1938, dans un de ses premiers écrits, il évoque le déclin social de l’imago paternelle et ses répercussions. Il n’hésite pas à qualifier ce tournant de « crise psychologique »[4]. En effet, on voit bien actuellement que la référence unique se dissout et se morcelle en un nombre presque infini de groupes identitaires, comme tentative des sujets de se nommer et de s’orienter dans l’existence. L’exemple le plus frappant étant les identités de genre LGBTQI+, si la liste ne cesse de s’allonger, c’est parce que quelque chose chez l’être humain fait toujours exception à la règle : le rapport singulier de chacun au vivant, qui est au-delà des mots, et que Lacan a nommé la jouissance. Le film montre d’ailleurs avec finesse, qu’avoir la norme mâle ou non comme repère, ne change rien à l’affaire quand il s’agit de sexualité. La sexualité est toujours en excès, en décalage avec l’idéal que l’on tente de rejoindre.

Du personnage de Matthias, X. Dolan dit qu’il « a tout » : « le succès, une promotion en vue, une copine, un appartement… »[5]. Il a en effet ce qu’il faut du point de vue de l’idéal de la virilité traditionnelle. Il est inscrit dans la lignée de son père dont il porte les insignes : le métier d’avocat, la beauté, l’éloquence (traits du père relevés par sa mère). Est-ce pour cela qu’il lui est si difficile de renoncer à ce qu’il croyait être ? Tandis que Maxime, celui qui n’a presque rien, qui n’entre pas dans les standards de la norme mâle, se défend moins de ce qu’il a éprouvé en embrassant son ami. Cela ne l’empêche pas d’être troublé, lui aussi, par cette rencontre inattendue avec le désir sexuel qui vient trouer le voile de l’amitié. Mais il y a quelque chose en lui de plus ouvert, prêt à accueillir ce qui bouleverse son existence. La psychanalyse soutient que cette ouverture ne dépend pas d’une norme ou d’une morale, mais de la place que chaque sujet peut faire à la différence, à l’altérité qui est d’abord la sienne propre. Cela s’entend dans la langue que l’on parle tous les jours, sans le savoir.


Sandy Claise est membre de l’ACF-MP.

[1] Intervention à la soirée ciné-débat – Matthias et Maxime de Xavier Dolan – dans le cadre des soirées préparatoires aux J 51 La norme mâle, le 7 octobre 2021 à Albi.

[2] Cartel composé de Cécile Guiral, Émeline Maurin, Sandy Claise et Pascale Rivals (plus-un).

[3] 51e Journées de l’ECF, La norme mâle, les 20 et 21 novembre 2021 en visioconférence.

[4] Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 60.

[5] « Xavier Dolan, mes amis, mes amours », La Grande table par Olivia Gesbert, France Culture, 14 octobre 2019, https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-culture/xavier-dolan-mes-amis-mes-amours