NOUAGE \06 - une institution pour quoi faire ?
Vouloir la clinique, Vanessa Sudreau
« Il s’agit de vouloir la clinique de façon décidée » indique Alexandre Stevens[1] en guise de conclusion à la série de trois conférences – plus une, qu’il a données très généreusement à l’Association de la Cause freudienne Midi-Pyrénées tout au long de l’année 2016.
Quel est cet étrange vouloir, assez peu familier de la langue analytique habituellement plus encline à sillonner les mystères du désir : léger, vital, fugace ; quand la volonté fait sourdre les échos du surmoi, du Père, du maître… C’est que le désir pur n’existe pas[2], c’est la leçon de Lacan : le désir du sujet c’est le désir de l’Autre[3], sa vertu ne le tient pas aux antipodes de la volonté.
Vouloir ce qu’on désire[4]pour bien des sujets, cela ne se peut qu’au bout d’un long parcours analytique, qui aura d’abord nécessité que désir et volonté soit isolés, distingués, historisés, soit : analysés…
Notre modernité nous conduit à un point de firmament de la furor sanandi[5] de laquelle Freud nous avait pourtant appris à nous méfier. Vouloir le bien de l’Autre, le bien pour l’autre, savoir ce qui est bon pour lui est un poison, lent ou vif, qui abîme le lien, le fausse, l’étouffe. Il arrive que cette « fureur de soigner » fasse carrément sortir le sujet de ses gonds, au point de provoquer des passages à l’acte, d’accroitre le malaise du sujet, ou de l’enkyster.
Les travailleurs sociaux, qu’ils soient du champ social, médico-social, sanitaire, du domaine public ou associatif ne peuvent ignorer que la prégnance de l’Idéal, plutôt exacerbée dans les métiers dits du soin, est toxique pour nos patients comme pour nous, car nos professions vieillissent mal quand l’Idéal est le principal moteur de nos actes. C’est en quoi l’indication que nous donne A. Stevens, lors de sa seconde conférence, est cruciale quand il indique que nos actions n’ont chance d’opérer sur la jouissance qu’à défaire le sens, c’est un axe très éclairant de l’enseignement qu’il nous a proposé et dont ce volume regorge d’exemple cliniques.
Vouloir la clinique suppose sans doute de pouvoir suspendre sa propre volonté (de soigner, d’aider, de rééduquer, de psychanalyser, de transmettre) non de l’éliminer – que ferait-on sans désir ? – mais de la suspendre, le temps qu’il faut pour laisser chance à l’autre de nous communiquer un petit bout de son monde, et du fonctionnement de celui-ci.
Vouloir la clinique plus fort que le bien de l’autre, n’est-ce pas s’appuyer sur l’aiguillon que nous a livré Lacan quand il nous rappelle que notre seule cible doit être « la différence absolue »[6] ?
Vanessa Sudreau est membre de l’acf-mp.
[1] Alexandre Stevens est psychiatre, psychanalyste à Bruxelles. Il est le fondateur du Courtil qui est une institution pour enfants et jeunes psychotiques et autistes à la frontière belgo-française. Il est membre de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Il a été le président de la New Lacanian School de 2000 à 2004 et a présidé l’École de la Cause freudienne dans les années 2000. Il enseigne à la section clinique de Bruxelles, a participé à plusieurs ouvrages et est l’auteur de nombreux articles.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux, Paris, Le Seuil, 1973, p. 307.
[3] Lacan J., « La direction de la cure », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 632 : « le désir inconscient est le désir de l’Autre ».
[4] Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache », Écrits, op. cit., p. 682 : « le sujet est amené à renaître pour savoir s’il veut ce qu’il désire ».
[5] Freud S., « Observations sur l’amour de transfert », La technique psychanalytique, Paris puf, 1953, p. 130 : « La furor sanandi, pas plus que tout autre fanatisme, ne saurait être de quelque utilité à la société humaine. » Furor sanandi, expression latine que l’on pourrait traduire par fureur de guérir.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux, op. cit.
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