NOUAGE \08 - traduire le genre
Nouage pride, Patricia Loubet
Les questions relatives au genre ne cessent pas de faire des vagues. L’illusoire confort d’appartenir à une norme de genre s’accompagne souvent d’un rejet de ce qui serait différent, étrange, bizarre. En réponse à ce regard ostracisant, des voix se font entendre, cherchent à sortir de l’effacement, s’organisent sous des étendards : queer, lgbti, etc. Le rejet devient identité et s’empare du pouvoir d’énonciation. Lacan avait l’idée que les minorités réalisaient un mouvement de civilisation en faisant évoluer, bouger les discours ambiants [1]. Attentive à ces processus originaux de subjectivation de notre époque, la psychanalyse reste le partenaire-symptôme de ces avancées. Elle accompagne, reprécise son orientation, répond et prend place dans ce débat. Elle avance que homme et femme sont des signifiants qui n’arriment pas les sujets, ne permettent pas d’obtenir une consistance d’être. La jouissance, y compris sexuelle, reste résolument séparée de l’autre qui devient en revanche le support d’un corps sur lequel le sujet prélève l’objet agissant.
Les textes d’orientation publiés ici, prolongent et explorent les avancées de Lacan dans son dernier enseignement.
Les deux conférences de Bernard Lecœur prononcées à Toulouse en 2017 forment la figure de proue de ce numéro. Il interroge dans la première, le choix des enfants dits transgenre. La dysphorie de genre est un éprouvé qui conduit à faire des choix et à prendre des décisions qui sont variables selon les individus, elle permet de questionner ce que veut dire : « posséder un corps ». Dans un glissement subtil qui va du choix à l’exploit, ce texte situe au moment crucial de l’adolescence, comment la mise en jeu du corps s’adresse à la reconnaissance de l’Autre.
Le point de départ de la seconde conférence fait valoir que la signification de la différence des sexes n’est d’aucune évidence. La bipartition homme/femme est fuyante et ce n’est certainement pas le genre qui peut l’assurer. B. Lecœur rappelle cette communauté de pensée avec les théories du genre. Il rappelle également que Lacan prolonge cette subversion jusqu’à affirmer l’inaccessibilité du deux, ce que résume le syntagme : « Il n’y a pas de rapport sexuel » [2]. Expression du ratage, du il n’y a pas, cette formule indique que la disjonction est d’abord en chacun, une disjonction entre l’être du sujet et la jouissance du corps. À partir de cette orientation, B. Lecœur examine la demande transgenre comme une demande au-delà de l’anatomie. Son travail permet de déplacer la question du corps du sujet au corps de l’Autre.
Dominique Hermitte, déléguée régionale de l’acf – mp clôture ce recueil avec un texte qui examine la notion de corps parlant. Son travail se noue à la délicate lecture qu’elle livre du film Tomboy de Céline Sciamma que l’on trouve également dans ce numéro.
Queerising spaces ! La seconde partie de cet ouvrage propose trois textes qui font entendre la voix de militants queer, ceux qui appartiennent à « la subjectivité de [notre] époque » [3]. Qu’est-ce que le queer ? Une émancipation des minorités retournant l’insulte pour s’en affranchir ? Une invention au cœur d’une révolution en cours contre les stéréotypes de genre ?
Nous sommes heureux de publier l’entretien que nous avons eu avec Phia Ménard, artiste à l’outrance communicative. Soucieuse de traduire et de transmettre l’expérience de sa transition m to f (male to female), de rendre visible le moment où s’est décidée la sortie de ce corps perçu comme un corps étranger, son propos performe jusqu’au décentrement de l’interlocuteur. Son désir de faire entendre la singularité de son expérience se double d’une position militante.
Fabrice Bourlez et Bruno Perreau ont répondu à l’invitation de Nouage qui souhaitait mieux saisir le phénomène queer. Chacun nous ouvre des perspectives nouvelles, au croisement de questions socio-politique, éthique et clinique.
F. Bourlez possède une communauté de pensée avec les gender studies tout en ayant une pratique orientée par la psychanalyse lacanienne. Que nous dit-il ? Le queer est directement branché sur la cité. La praxis analytique peut s’en enrichir sans renoncer à la position d’énonciation et d’élucidation « du point d’impossible qui [nous] fixe ». Il milite pour une logique de visibilité et de reconnaissance des queer, mais appelle de ses vœux une réconciliation des divergences qui génèrent souvent une incompréhension, voire de l’agressivité envers la psychanalyse.
Depuis Boston, via Skype, B. Perreau nous a accordé une interview. Il s’est prêté sans hésitation à cette rencontre et a répondu sans compromission à nos questions, laissant paraitre la controverse qui a lieu entre la psychanalyse et les études du genre.
Ce changement de focale à propos de la différence des sexes, de la jouissance et de l’identité a suscité beaucoup d’intérêt. Dire que nous avons beaucoup appris de ces rencontres, de ce dialogue avec des artistes, psychanalystes, universitaires engagés, serait de peu de mots, comparé au bougé que cela a produit.
Open your mind ! C’est une offre que l’on ne peut refuser, qui est à portée de main grâce à la lecture de ce numéro de Nouage.
[1] Écouter à ce propos le Séminaire de Marie-Hélène Brousse sur http://www.radiolacan.com/fr/topic/704
[2] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 413.
[3] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
SOMMAIRE
Éditorial : Nouage pride, Patricia Loubet
Naitre dans le bon corps, Bernard Lecœur
Évocation d’un troisième sexe, Bernard Lecœur
Préadolescence, Dominique Hermitte
Donner au monde une autre possibilité, Phia Ménard
L’exceptionnelle banalité de nos vies, Fabrice Bourlez
Il n’y a pas de modèle de genre, Bruno Perreau
Le corps qu’on a et le genre que l’on se donne, Dominique Hermitte
Postface : Instantané contemporain; Dominique Hermitte
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